Cameroun : La protection de la famille et de l’enfance en danger

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Auteur : Louis-Marie KAKDEU

La protection de l’enfance est un droit constitutionnel au Cameroun. Mais au fil des années, on constate une sorte d’inertie et les enfants vulnérables sombrent de plus en plus dans la précarité ou sont abandonnés. Selon l’Annuaire Statistique du Ministère en charge des affaires sociales (MINAS, 2012), le nombre d’enfants abandonnés et encadrés auprès des structures sociales sur l’ensemble du territoire national est en constante augmentation. Ainsi, il est passé de 29 en 2008 à 1326 en 2010. Sur le plan de l’éducation, le taux de non-scolarisation des enfants en âge scolaire (6-14 ans) était de 24,9% alors que la scolarisation est obligatoire à cet âge depuis 1998. Comment expliquer une telle inertie ?

Laxisme et absence de volonté politique

Cela se manifeste au niveau international par la non-ratification par le Cameroun de la Convention de la Haye sur l’Adoption Internationale. Par conséquent, le pays se referme sur lui-même bloquant de nouvelles possibilités de reconstitution des familles de substitution pour des enfants sans protection parentale. Au niveau national, les avant-projets de lois portant Code de Protection de l’Enfant et Code des Personnes et de la Famille n’ont toujours pas abouti et sont en perpétuelle réécriture depuis 1997. Depuis 21 ans, le pays n’a toujours pas de politique nationale de protection et de promotion des droits de l’enfant et il manque aussi une véritable coordination de la prise en charge de cette cible. Pour preuve, les sessions de la Commission Nationale pour la Protection de l’Enfance en danger moral, délinquante ou abandonnée, créée par le décret n°90-5724 du 23 mars 1990, sont rares. Cela traduit l’incapacité d’améliorer la planification, la gestion et la gouvernance du sous-secteur de la protection de l’enfance.

En réalité, c’est depuis 1973 qu’il existe, par décret présidentiel, une commission de législation civile chargée, entre autres, de préparer des avant-projets de loi portant code civil et contenant ainsi l’ensemble des règles qui régissent le droit de la famille. Déjà à cette époque, il se posait le problème de la vétusté du code civil camerounais qui datait de 1954 et qui considérait encore le Cameroun comme un territoire français (article 1er). Et combien de fois de nos jours où la société connaît plus de problèmes d’épidémie du sida, d’insuffisance alimentaire, de séparation conjugale, de familles recomposées ? En 2001, le ministère en charge des Affaires Sociales avait initié un nouveau code civil dans le sens d’intégrer des innovations dans le secteur de la famille mais, en vain. Ces innovations concernaient la gestion des problèmes de tutelle (des enfants mineurs), du mode d’organisation de la famille (conseil de famille), des régimes matrimoniaux (monogamie et polygamie et leurs incidences juridiques), du veuvage, de l’héritage, etc. L’on pourrait dire que les concertations hautement appréciables bloquent au niveau des réalités sociologiques du pays profond et de la gestion des sensibilités ethnique, culturelle, religieuse et même postcoloniale (existence de deux sous-systèmes juridiques anglophone et francophone). Mais, force est de constater que s’il y avait une réelle volonté politique, alors les autorités auraient déjà pu impulser une nouvelle dynamique dans le pays

Mauvaise gouvernance

Il s’agit de l’absence d’un suivi rigoureux des dispositions existantes. Par exemple, l’Institut National de Travail Social qui formerait les professionnels entre autres de la protection de l’enfance n’est toujours pas fonctionnel depuis le 21 septembre 2006, date de sa création par décret présidentiel n°2006/302. Pis, malgré l’existence de l’Article 6 du code civil qui dispose que l’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs, certaines coutumes continuent d’être appliquées dans le pays. C’est le cas de l’exclusion de la fille de la succession et de l’héritage qui est contraire à l’ordre public et à l’égalité constitutionnelle. Or, depuis 1972, la Cour suprême du Cameroun avait déclaré qu’une norme de droit coutumier ne serait reconnue et appliquée que si celle-ci était claire, précise et conforme à l’ordre et à la morale publique. On peut citer aussi le relâchement dans l’application de la loi relative à l’image. On note des cas de violation du droit à l’image des enfants par leurs parents et autres proches qui les jettent en pâture sur internet sans aucune protection de leurs identités en violation des dispositions pertinentes du code civil. L’on n’applique pas aussi systématiquement les procédures d’adoption des enfants qui se font de gré à gré malgré la législation en vigueur (loi n°84/4 du 04/07/84). Autant d’exemples qui montrent que si l’on hausse la qualité du contrôle interne, alors la situation des enfants s’améliorerait.

Ignorance de la loi

Au niveau des familles et des communautés, les ressources intellectuelles, matérielles, informationnelles et financières sont limitées sur les droits de l’enfant. Par conséquent, des questions comme celles du parrainage ou de famille d’accueil sont mal comprises. Sur quelles bases placer ou accueillir un enfant en famille d’accueil ? Quelles sont les droits et obligations des parties prenantes dans le phénomène de parrainage d’enfants ? On note l’intensification des phénomènes comme celui du confiage (à un tuteur) sans un même niveau de compréhension des règles entre les parties. En 2018, les enfants camerounais sont encore à la merci des tuteurs qui les disposent à volonté. Et les conséquences sont désastreuses. Par exemple, la famille du défunt s’accapare souvent des biens au détriment de ses enfants, au nom du tutorat alors que juridiquement, elle ne peut prétendre à aucune part en présence des enfants vivants du défunt qui sont ses héritiers directs. Face à ce genre de situation, on observe qu’un programme de renforcement des familles résoudrait le problème.

En somme, nous voyons que les politiques de promotion de l’enfance ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’heure. Il convient pour les autorités politiques de faire preuve de beaucoup plus de volontarisme pour faire bouger les lignes.

Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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